Mon avis sur « Soumission » de Michel Houellebecq.
Après Jean Giono, Leila Slimani, Céline, j’avais promis d’aborder le cas Houellebecq, et son roman « Soumission ».
Autant dire tout de suite que ce n’était pas sans appréhension. J’eus l’impression de manier une fiole de nitroglycérine.
Déjà, en parlant de Céline (à travers son roman inédit « Guerre », écrit en 1934), je prenais des risques. L’incontestable grand écrivain devint nauséabond et infréquentable pour ses délires collaborationnistes et antisémites dix ans après avoir écrit ses œuvres les plus marquantes (voyage au bout de la nuit notamment). À ce titre, certains, et je ne les en blâme pas, décident de boycotter Céline et de ne rien lire de lui.
J’ai quant à moi décidé que sans perdre sa lucidité sur le personnage qu’il est devenu pendant l’occupation, on pouvait s’intéresser à sa littérature antérieure qui fut tant saluée par les critiques, d’autant que les grands écrits sur la tragédie de 14-18 ne sont pas si nombreux. C’était il y a bien longtemps.
Houellebecq est, lui, un auteur contemporain, ce qui nous situe au cœur des passions actuelles.
Rappelons le contexte :
« Soumission » parut fin 2014, et fit l’objet d’indiscrétions dans la presse dès avant sa sortie prévue en janvier 2015. L’auteur, déjà à la fois consacré et contesté, écrivait une dystopie plausible (récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre), qui prit sa source dans la situation politique en France.
Ce scénario explore la possibilité qu’un parti musulman, animé par un personnage jeune et charismatique, Mohammed Ben Abbes, remporte les élections présidentielles en 2022.
François Hollande quant à lui aurait joui d’un second mandat… Houellebecq n’est pas devin, mais écrivain.
Quoi qu’il en soit, cette hypothèse de l’élection du leader du parti musulman (et pas tout à fait islamiste) en France est explorée par l’auteur qui en tire, et c’est tout l’intérêt du livre, un certain nombre de conséquences sur la vie des gens, et singulièrement celle du héros, professeur d’université.
Or, quelques jours après l’interview de Houellebecq par David Pujadas sur France 2, et le jour même de la « Une » de Charlie Hebdo consacrée à son roman « Soumission », l’attentat du 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie glace littéralement l’opinion, et éclaire d’une lumière crue la promotion du livre, aussitôt interrompue par l’auteur.
La réalité dépasse alors de loin la fiction. Le massacre des journalistes de Charlie Hebdo et plus généralement les crimes terroristes à venir, comme ceux de la terrible nuit du 13 novembre de la même année, n’apparaissent pas dans le roman.
« Soumission » ne prédit pas ces attentats, mais il envisage une prise de pouvoir démocratique par un parti musulman qui va très vite imposer, avec beaucoup de subtilité, un changement radical de société. Il utilisera pour ce faire la corruption des élites et leur lâcheté.
L’histoire :
François, Professeur d’Université à la Sorbonne, la quarantaine finissante, est un spécialiste de Huysmans, un écrivain français du XIXe siècle. Il va s’y référer constamment, car il a marqué sa jeunesse étudiante. Mais c’est aussi et surtout un homme d’aujourd’hui, assez désabusé, qui trouve dans une sexualité débridée une échappatoire à l’ennui, et un moyen pathétique de refuser de vieillir.
Du reste, le roman surprendra, dans la mesure où l’on passe de subtiles considérations philosophiques ou politiques à des scènes de sexe particulièrement crues, illustrées par des propos tout droit tirés de vidéos pornographiques avec une prédilection pour la sodomie pratiquée par le ‘héros’ sur ses jeunes maîtresses, lesquelles semblent beaucoup l’apprécier. En cela, Houellebecq mélange les genres : son roman raconte certes une histoire, mais emprunte des itinéraires très divers.
Le brillant intellectuel qu’est son personnage principal semble constamment en proie au doute sur sa propre légitimité, et s’adonne obsessionnellement aux plaisirs de la chair pour atténuer sa souffrance de vivre sans but, sans passion véritable, sans opinion définie, sans objectif, terrorisé par l’idée de vieillir.
Comment va-t-il accueillir le changement de régime en France ?
D’abord en observateur : Mohammed Ben Abbes gagne au second tour de l’élection présidentielle face à Marine Le Pen, avec l’appui décisif d’une gauche et d’une droite affaiblies, à qui il a donné des gages, et dont les leaders ne veulent en aucun cas s’allier au RN. François Bayrou deviendra son premier ministre. Ce dernier, présenté comme un vil serviteur, en prend pour son grade. Houellebecq ne l’épargne pas.
Principales mesures prises par le nouveau président : l’Éducation Nationale est quasiment dissoute, remplacée par des écoles confessionnelles, essentiellement coraniques, et marginalement (encore) catholiques, lesquelles y trouvent leur compte. L’enseignement supérieur est réservé aux garçons, et surtout, tous les professeurs doivent être musulmans. Enfin, la polygamie est instaurée.
Les Universitaires sont mis à la retraite anticipée, à des conditions particulièrement généreuses. Ceux qui acceptent de se convertir réintègrent la faculté, à des salaires (on dit traitements dans la fonction publique) mirobolants. L’Arabie Saoudite finance…
Que va faire François ? D’abord il observe et se cherche. Un ancien collègue, devenu recteur, l’approche, cherche à le convaincre. Lui a sauté le pas : non seulement il s’est converti mais on lui a « fourni » trois épouses, dont la plus jeune n’a que quinze ans, chaque femme ayant en fonction de son âge, une tâche particulière à mener auprès de son mari. Je vous laisse deviner laquelle. Le vieux garçon déplumé devenu recteur, qui n’a jamais eu de succès auprès de la gent féminine, se voit comblé par cette mesure inespérée. Les unions ne sont plus issues de la séduction ou du consentement réciproque, mais des arrangements entre hommes. Les femmes et les filles n’ont plus leur mot à dire.
Le pays, curieusement apaisé ou groggy, bénéficie d’un véritable état de grâce : la délinquance notamment en banlieue chute brutalement, le chômage disparaît du jour au lendemain, en même temps que les déficits.
Alors, que va faire François ? Redevenir professeur d’université, au prix d’une conversion à l’islam obligatoire qui n’a pas besoin d’être sincère ? Profiter des avantages de la polygamie, lui qui n’aurait plus besoin de séduire, ce qui lui est devenu de plus en plus difficile au fur et à mesure qu’il vieillit ? Se rebeller ?
Ça, je vous laisse le découvrir.
Si vous aimez être malmené, vous mettre dans la peau du personnage principal pour imaginer ce que vous auriez fait à sa place, alors sautez le pas et lisez « Soumission ».
Le titre vous met sur la piste, en même temps qu’il terrifie.
Bonne lecture ou passer votre chemin, c’est selon.
Jean Notary