Saint-Cyr à l'école de la grande Muette de Guillaume Ancel

Mon avis sur le livre de Guillaume Ancel : « Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette » chez Flammarion, qu’il m’a dédicacé le Img 213131 janvier 2024.

Né dans la bourgeoisie Lyonnaise teintée de catholicisme social, destiné logiquement à reprendre les rênes de l’entreprise familiale, Guillaume Ancel choisit de rompre avec ce chemin tout tracé pour s’engager dans une carrière militaire en présentant à 19 ans le concours de Saint-Cyr, qu’il réussira en dépit d’une certaine impréparation « culturelle » : en effet le milieu militaire sert lui-même de vivier pour y puiser les candidats à cette prestigieuse école de l’armée de terre : on est souvent officier de père en fils. Guillaume Ancel fait figure d’exception, et son regard nous intéresse d’autant plus sur l’institution qu’il se veut moins contraint par la tradition du silence qui y règne.

Ce n’est pas pour rien que l’on qualifie l’armée de « Grande Muette ».

Dans le livre, Guillaume Ancel décrit presque au jour le jour le déroulé de la formation d’élèves-officiers à Saint-Cyr. Les faits décrits datent de 1985, mais on soupçonne une certaine pérennité des pratiques de « bahutages » (qu’on pourrait traduire par bizutage), qui paraissent complètement décalées par rapport à l’évolution de la société civile. Certes, la « tradition » aurait pour but d’inculquer une obéissance totale, une cohésion, un respect aveugle de la hiérarchie, qui seraient gages d’une efficacité supposée sur le terrain des combats, et attestée par des siècles d’usages dans l’armée.

Avec son regard distancié, Guillaume Ancel s’interroge sur l’efficacité managériale de ces méthodes pour former les bons combattants de demain, même s’il reconnaît la nécessité de l’engagement total des troupes à partir d’un ordre donné par la hiérarchie. Il cite l’exemple curieux et inattendu de la Légion Étrangère, corps d’élite s’il en est, dans laquelle l’officier de terrain organise un temps d’expression libre des critiques et des points de vue de ses subordonnés, préalable à l’action, qui sera suivie d’une décision du « chef » qui devra impérativement s’imposer à tous. Là au moins, l’officier aura tenu compte de l’ambiance, du ressenti, des états-d ’âme de ses troupes avant de prendre sa décision. Cela ne semble pas être le cas dans les autres unités de l’armée française.

Guillaume Ancel regrette l’absence d’échange d’idées, de débat, dans un groupe de Saint-Cyriens qui manifestement, par leur niveau intellectuel, leur culture, leur formation antérieure, devraient pouvoir apporter leur pierre à l’édifice, en vue d’une meilleure efficacité collective.

Or l’absence de ce que j’appellerais « l’esprit citoyen » revient en boomerang sur l’armée, lorsqu’elle est engagée dans des opérations extérieures. Car on finit toujours par lui demander des comptes, y compris quand elle a agi sur ordre du pouvoir politique. Elle s’enferme alors dans le mutisme, justifiant son appellation de « Grande Muette », car elle ne veut être jugée, à partir du moment où elle a obéi. Ce qui, depuis la jurisprudence de Nuremberg, devient parfois imprudent. La faute du politique ne couvre plus la faute du militaire, même lorsqu’il argue du fait d’avoir suivi les ordres strictement.

Guillaume Ancel a participé en tant qu’officier d’artillerie (le guidage des missiles air-sol) dans diverses opérations extérieures, et notamment pendant la guerre de Bosnie et au Rwanda. Or dans les deux cas, le pouvoir politique (sous la présidence de François Mitterrand) a fait des choix extrêmement compromettants pour l’éthique et l’honneur de l’armée, et au-delà, de la France. Qu’il s’agisse d’ignorer les crimes des Serbes de Bosnie malgré les preuves présentées et à disposition de leurs exactions, ou d’appuyer les génocidaires du Rwanda au point de leur livrer des armes, l’armée française, pourtant réticente dans les deux cas, a choisi de ne pas parler, de ne pas exprimer son opposition, fidèle à sa tradition. Et ce, même des dizaines d’années après.

Et pourtant, les témoignages des hommes de troupes circulent, entre eux, et un peu au-delà puisque c’est ainsi que j’ai recueilli de précieux moments vécus par les Légionnaires à Sarajevo, où se trouvait précisément Guillaume Ancel, qui évoque la même ambiance, la même incompréhension face aux ordres donnés, dans son livre « Vent Glacial sur Sarajevo » dont j’ai déjà eu l’occasion de parler dans un précédent post.

Cette tradition du silence obéissant, nous apprend Guillaume Ancel, daterait de Napoléon. Auparavant, les officiers des armées royales s’exprimaient, publiaient des mémoires de guerre, et cette tradition-là est restée en vigueur en Angleterre et par proximité culturelle aux États-Unis, où les militaires engagés dans des opérations militaires extérieures n’hésitent pas à témoigner de leur rôle exact dans l’action, peu de temps après les évènements en question. Le politique est dès lors moins enclin à risquer sa réputation, si les témoins directs des ordres qu’il a donnés s’expriment devant l’opinion publique. Il serait bon de réfléchir à une inflexion de notre tradition du silence, si elle doit permettre de responsabiliser un peu plus nos politiques !

Mon avis sur le livre ?

Il est positif, et j’encourage à le lire. Pour une démarche citoyenne, parce qu’il faut savoir de quoi l’on parle à l’heure où les questions de défense refont brutalement surface. Les futurs candidats pour une carrière dans l’armée seraient également bien inspirés de s’informer, et verront aussi qu’en dehors des questions que j’ai évoquées plus haut, un autre aspect est à considérer : celui de l’endurance physique (et conséquemment, psychologique), car les épreuves dans ce domaine dépassent de très loin en intensité celles qu’on présente comme surhumaines dans une émission de télé-réalité bien connue. C’est bon à savoir (j’ai bien fait de ne pas passer le concours de Saint-Cyr car je ne me vois pas du tout capable de faire un séjour commando dans la jungle Guyanaise par exemple…).

Pour ma conclusion, je parlerai quelques instants de Guillaume Ancel. J’ai pris contact avec lui sur son blog (nepassubir.fr) il y a un an, après avoir lu « Vent Glacial à Sarajevo » qu’il avait écrit, afin d’échanger avec lui sur les évènements de Sarajevo, et parce qu’auparavant, j’avais écrit mon livre « Cinq siècles à rebours » dans lequel justement, il est question des mêmes évènements tragiques.

Il a tout de suite répondu très chaleureusement, me tutoyant d’emblée, comme si j’étais un de ses vieux camarades. J’ai cru m’être mal exprimé, et parce que j’avais parlé de mes amis Légionnaires, qu’il m’ait pris pour un ancien de la Légion, avec laquelle il a partagé de grands moments de vie militaire.

En réalité, j’ai compris d’où lui venait cette chaleur humaine. Elle est exprimée page 76 de son livre « Saint-Cyr, à l’école de la grande Muette ». Il regrette l’absence d’échanges, et cette culture du silence.

Je cite :

« Cela me laissera une empreinte très forte : ne plus attendre pour montrer de la chaleur et de la cordialité dans tous les cercles que je traversai, et nouer au plus vite des relations personnelles avec ceux qui m’entourent pour les comprendre, à défaut de toujours pouvoir m’entendre avec eux ».

Tout est dit. L’ouverture d’esprit, avec toujours la liberté de ne pas être d’accord, mais dans le respect du débat.

Il m’a très amicalement invité à la sortie de son livre sur Saint-Cyr, me l’a dédicacé en même temps que son autre livre « Vent Glacial sur Sarajevo », et en retour je lui ai offert et dédicacé mon livre « Cinq siècles à rebours ».

Bonne journée à tous

Jean Notary

PS : Guillaume Ancel a quitté l’armée avec le grade de Lieutenant-Colonel, et a rejoint la société civile. Il est aujourd’hui directeur de la communication des Caisses de retraite Agirc-Arrco, écrivain et intervient en tant que consultant notamment sur France Info et C’ dans l’air et BFMTV.

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