Regardez-nous danser, de Leila Slimani

Mon avis sur "Regardez-nous danser", la suite de "Le Pays des autres" de Leïla Slimani, chez Folio, 375 pages.

Autant le dire tout de suite, pour apprécier "Regardez-nous danser", il faut avoir lu (et apprécié) "Le Pays des autres", pour lequel j'ai déjà fait un post auquel je vous suggère de vous référer.Regardez nous danser

Cette suite, je l'attendais. Car Leïla Slimani est maintenant une de mes auteures préférées, tant elle est à la fois audacieuse, inventive, et parce que son style et sa maîtrise de la langue française sont remarquables.

Le plaisir est là, même si l'on s'attend à avoir le cœur serré, car Leïla Slimani n'est pas une écrivaine à l'eau de rose. Elle trempe sa plume dans la bile des angoissés, la sueur des opprimés, le sang des violentés.

Nous avons quitté la période d'après-guerre, pendant laquelle s'est construite l'histoire de Mathilde, l'Alsacienne rencontrée sur les bords du Rhin en 1944, et Amine, le Marocain de l'armée d'Afrique venue libérer la France occupée. Tombée follement amoureuse de lui, elle l'épouse et le suit au Maroc où les choses vont se compliquer singulièrement, tant un monde culturel les sépare et les difficultés économiques assaillent l'ambitieux Amine qui veut faire d'une terre aride une grande ferme moderne.

Nous sommes cette fois en 1968, et à force de travail acharné, Amine a réussi à "devenir quelqu'un", un bourgeois-paysan, qui mène la vie dure à ses ouvriers agricoles, mais toujours en exigeant de lui-même plus encore.

Et l'époque est à l'émancipation des femmes, surtout en Europe, mais par extension, au Maroc aussi. C'est aussi celle des premiers hippies, qui choisissent le Maroc pour jouir à l'excès des plaisirs sulfureux des drogues fumées ou injectées, et qui deviennent vite des épaves encombrantes et méprisées.

La famille de Mathilde et Amine, enfants, cousins, frères, soeurs, n'échappe pas à ces grands bouleversements sociétaux, et la tragédie, les déchirures, s'invitent dans leur foyer.

Amine, devenu "riche", pourrait être fier d'avoir "réussi", surtout qu'il doit entièrement cette réussite à son travail. Mais il va finalement avoir peur de son succès, peur des jalousies, et au lieu de jouir de sa position, nourrira une véritable paranoïa qui gâche tout, d'autant que se mêlent à ces craintes d'une révolte des pauvres qui s'empareraient de ses biens, celles d'un pouvoir menacé d'un coup d'État (les tentatives d'assassinat du roi Hassan II) dont la politique devient illisible.

Entre le marteau et l'enclume, Amine goûte à l'amertume de ceux qui ont acquis une position intermédiaire : jalousé par ceux qui sont restés sur le carreau, et menacé par les vrais décideurs qui sont au-dessus et qui lorgnent sur ses biens.

"Regardez-nous danser" est une suite intelligente et justifiée de cette grande saga qui a commencé avec "Le Pays des autres".

Tout est cohérent. Mais n'attendez pas une fin heureuse, un roman joyeux. C'est dur, plutôt noir, finalement lucide sur la réalité de la vie. Bravo à Leïla Slimani.

Je terminerai par une note plus personnelle : J'ai une pensée aussi, puisque le roman se déroule au Maroc, pour les Marocains qui souffrent après la tragédie du tremblement de terre.

Bonne lecture !

Jean Notary

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