
Mon avis sur « Philippe le Bel, la puissance et la grandeur » de Jacques Krynen, chez Gallimard, 148 pages.
Le livre est petit mais il est intense. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas une biographie de notre roi Philippe IV le Bel en abrégé. Ce que cet ouvrage veut montrer « c’est que sous l’autorité d’un roi encore médiéval a été opéré un modelage idéologico-politique de la France, une formidable œuvre, puisqu’en ont résulté chez nous de saillantes lignes de conduite du pouvoir jusqu’à l’époque contemporaine » comme le dit l’auteur.
C’est donc un document certes technique mais passionnant pour ceux qui s’intéressent tant à notre Histoire qu’à ce qui représente encore aujourd’hui « l’essence de la France ».
Pour avoir une biographie exhaustive du roi Philippe IV le Bel, qui régna de 1285 à 1314, on se reportera au titre du célèbre médiéviste Jean Favier, aux éditions Fayard.
Pour autant, ce « petit » livre est un trésor. On croit parfois, à tort, que la France du Moyen-âge est tellement lointaine qu’elle n’a rien de commun avec celle d’aujourd’hui. On aurait même tendance à oublier cette période et à faire remonter la naissance de la France à la Révolution de 1789, ou même un peu plus tard, avec Napoléon. Sacrilège ! Certains audacieux remonteraient peut-être (souvent avec répugnance) à Louis XIV (1638-1715) parce que tout de même, il y a encore beaucoup de choses visibles (et je ne parle pas des monuments, mais des institutions) qui sont encore bien vivantes de nos jours parmi celles que le Grand Roi a créées.
Certains en sens inverse pousseraient jusqu’au baptême de Clovis (environ 496 après JC) pour faire « naître la France », arguant du fait incontestable que l’autorité royale a fait cause commune avec le Christianisme après la fin de l’Empire romain d’Occident, lequel Christianisme l’aurait durablement marquée.
La France aurait donc 15 siècles d’après eux. Je ne parlerai pas de ceux qui la font remonter à Vercingétorix et aux Gaulois… Restons sérieux.
Si l’Église a eu un rôle très important depuis Clovis, l’État français à proprement parler s’est en réalité forgé plus tard, et en subjuguant l’autorité de l’Église et en la soumettant.
Ce sont surtout les Capétiens qui en sont à l’origine, particulièrement à partir de Philippe II Auguste (1180-1223), dont le pouvoir s’est affirmé à l’intérieur et à l’extérieur du royaume. Le pouvoir royal (et donc celui de l’État) fut alors constamment renforcé par ses successeurs, en particulier Louis IX (Saint Louis), Philippe III le Hardi et notre roi Philippe IV dont on parle ici qui a véritablement réalisé une œuvre majeure.
Pas seulement au niveau de la décision centralisée, mais à celui de l’Administration, du droit, et de la justification du pouvoir des Capétiens, tant à destination des Français que du « reste du monde », et c’est particulièrement cela que j’ai trouvé étonnant.
Vous savez sûrement que Charlemagne, régna comme Empereur d’Occident (des Francs), couronné par le Pape en 800. Mais à son décès, l’Empire est partagé en trois (en 843), avec au milieu le Saint Empire Romain Germanique (en gros l’Allemagne et l’Italie), et à l’Ouest la Francie, et à l’Est la Francie Orientale qui s’agglomère très vite au Saint Empire. De sorte qu’il n’y a plus que deux parties, avec la France à l’Ouest, la plus peuplée, l’Empire allemand à l’Est, le plus étendu.
Et cet héritage va empoisonner les relations entre Français et Allemands pour des siècles, et même entretenir une rivalité entre les deux États, même en temps de paix, jusqu’à aujourd’hui et probablement demain.
Chacun va en réalité tenter de dominer l’autre, et de reconstituer l’Empire de Charlemagne. Ainsi, revenons à l’époque de notre roi Philippe. Côté Allemand, Henri de Luxembourg est couronné Empereur et aussitôt il revendique en ces termes la suprématie et son pouvoir « universel » : « Dieu a voulu que tous les hommes, séparés et distincts en royaumes et pays, soient soumis à un prince unique ».
Tandis que le roi d’Angleterre lui fait une réponse polie, le roi Philippe le Bel lui rétorque vertement, lui opposant vigoureusement l’exception de la France (ça ne vous rappelle rien ?) en ces termes que je ne résiste pas de vous livrer :
« Nous avons examiné avec attention le préambule de vos lettres et nous avons décidé de faire savoir ouvertement à votre altesse à quel point votre façon de parler a provoqué un étonnement considérable parmi les Grands de notre royaume… Si vous aviez mieux considéré la situation de notre royaume, qui pourtant vous est assez connue, vous auriez dû reconnaître qu’il est exempt de cette sujétion générale. Car il est notoire, connu de tous et partout que depuis l’époque du Christ le royaume de France n’a jamais eu d’autre roi que le sien, placé directement sous Jésus-Christ… et n’a jamais eu ni reconnu aucun supérieur temporel, quel que fût l’Empereur (du St Empire) régnant ».
Ainsi Philippe argumente sur la spécificité française, son indépendance, sa souveraineté, et ne reconnaît aucun suzerain étranger.
Pas même le Pape, avec lequel il rentrera en conflit (c’était Boniface VIII) lequel tenta la même manœuvre d’intimidation. Mal lui en prit : Bien avant Henri VIII d’Angleterre qui créa l’Église anglicane deux siècles après, Philippe le Bel détache l’Église de France de l’autorité du Pape, et pour des siècles, car tous les rois Capétiens, leurs successeurs Valois et Bourbons maintiendront leur distance et soustrairont l'Église de France à l'autorité papale.
Curieusement, il faudra attendre la loi de séparation de l’Église et de l’État sous la troisième République en 1905 pour que les Catholiques Français renouent avec la Papauté, après la ruine de l’Église de France.
Pour conclure, dans le livre il y a mille et un exemples de décisions, d’institutions, de politiques intérieures et extérieures, mises en place par le roi Philippe le Bel que n’auraient pas renié Napoléon ni Charles de Gaulle, toujours motivées par « une spécificité française ».
C’est ce qui, à mon sens, définit le mieux l’âme d’un pays unique, particulier, comme l’est la France. Cet ensemble a forgé pendant des siècles un formidable ressort de résistance à l’adversité, un sentiment d’être, parfois perçu comme arrogant par nos voisins, mais qui a toujours suscité leur respectueuse admiration.
Bonne lecture !
Jean.