Napoléon III, la modernité inachevée de Thierry Lentz

Napoleon iii

Mon avis sur le livre de Thierry Lentz : Napoléon III, La modernité inachevée.

Perrin/Bibliothèque Nationale de France, Bibliothèque des Illustres.

Bonjour à tous,

Je vous avais annoncé un retour sur ce très beau livre illustré, consacré à Napoléon III.

Le voici :

On connaît mal Napoléon III : il a pourtant régné en tant qu’Empereur 22 ans sur la France, entre 1852 et 1870, et avant cela, fut le premier Président de la République élu au suffrage universel (masculin à l’époque) en 1848, inaugurant la deuxième république.

Une légende noire lui colle à la peau : Un coup d’État en 1851, une phase autoritaire du Second Empire jusqu’en 1860, une expédition mexicaine calamiteuse et surtout, la défaite de Sedan face à la Prusse, qui entame la France de l’Alsace et la Lorraine, semant les graines de la revanche qui allait alimenter l’hostilité envers l’Allemagne et les fondements de deux guerres mondiales…

Ajoutez à cela les jugements au vitriol de grandes figures de la littérature, comme Victor Hugo (qui l’appelait : « Napoléon le Petit »), et Zola (qui dépeint la misère de la paysannerie ou de la classe ouvrière), et le dénigrement systématique de la IIIe République pour se légitimer, et vous avez là tous les ingrédients d’un effacement de l’Histoire de France.

Et pourtant…

Petite parenthèse : s’agissant de Victor Hugo, qui apparaît aujourd’hui comme un parangon de vertu, le défenseur des pauvres, l’image de la morale publique, en plus d’avoir un immense talent littéraire, glorifié par la IIIe République, peu de gens savent qu’il fonda en 1819 (pendant la Restauration de l’Ancien régime, après Waterloo) une revue ultra-royaliste « Le Conservateur littéraire », que Louis XVIII lui accordera une pension, qu’il devint le confident de Louis-Philippe en 1841, puis Pair de France en 1844, autrement dit, qu’il défendit avec ferveur l’ordre ancien et aimait les honneurs, avant de se rallier à la République, et d’être élu député de la Deuxième République en 1848 dans le rang des conservateurs !

À cette occasion, il fut nommé Commissaire de l’Assemblée Constituante chargé de rétablir l’ordre face aux émeutes ouvrières, et commandera lui-même la troupe face aux barricades dans l’arrondissement parisien dont il est le Maire. Il désapprouvera après la répression sanglante de ces pauvres hères à laquelle il a pourtant participé…

Pour finir, il soutint la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à l’élection présidentielle, qui allait devenir Empereur sous le nom de Napoléon III.

Si Napoléon III l’avait distingué, à la hauteur de Louis-Philippe qui en avait fait un pair de France, peut-être n’aurait-il pas été aussi critique envers l’Empereur ? Fermons la parenthèse.

Revenons à Napoléon III :

Neveu de l’Empereur Napoléon Ier, fils de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais, elle-même fille de l’Impératrice Joséphine, Louis-Napoléon naquit en 1808, mais en 1815 à la chute de l’Empire il vivra en exilé, et bientôt en aventurier, se partageant entre l’Allemagne, la Suisse (il intégrera même l’armée Suisse), l’Angleterre et l’Italie, son pays de cœur.

En France la situation politique est trouble. Après une première Restauration, la révolution de 1830 puis de 1848 abattent les monarchies des Bourbons (Charles X) puis des Orléans (Louis-Philippe). Trois forces sont à la manœuvre : les royalistes, les bonapartistes, les républicains. Louis-Napoléon, poussé par ses partisans, tentera deux fois une prise de pouvoir, qui se solderont par des échecs, et par la prison, au fort de Ham, en 1844. Là, il écrira son programme politique à venir, les grandes idées qui vont structurer sa pensée et plus tard, son règne. Il s’évadera de manière rocambolesque de sa prison, déguisé en ouvrier, et se réfugiera une fois de plus à l’étranger, et notamment en Angleterre où il sera frappé par les immenses promesses de la révolution industrielle qui bat son plein outre-manche.

On le qualifie alors de « socialiste », tant il s’intéresse au sort des ouvriers, très durement exploités par le grand capitalisme naissant, et alors que le socialisme commence à progresser parmi les élites intellectuelles. En prison, il écrit plusieurs ouvrages : « Idées Napoléoniennes », et « De l’extinction du paupérisme » qui lui tient à cœur.

Il est indéniablement le premier homme politique à défendre un programme qu’il fait diffuser largement en France par des tracts, et qui fait la part belle à l’économie et au social. Il s’adresse directement au peuple, et non aux élites, comme c’était l’usage jusqu’à lors et contrairement à ses concurrents qui restent figés dans des pratiques d’un autre âge.

Il promeut le suffrage universel, ce qui provoque l’hostilité et la méfiance des conservateurs et des bourgeois. Lors de la chute de Louis-Philippe en 1848, il rentre en France, précédé par une indéniable aura politique. Il va imposer à la deuxième république naissante le suffrage universel pour l’élection présidentielle et triomphera dans les urnes. Mais son pouvoir de Président sera sous le contrôle d’une Assemblée très largement acquise aux conservateurs, qui s’efforceront de le limiter, dans l’espace et le temps. Cette opposition aboutira au coup d’État de 1851, et bientôt à la restauration de l’Empire, par l’organisation d’un plébiscite. Le peuple l’approuvera, à une écrasante majorité.

Vu comme cela, la première critique faite à Napoléon III (le coup d’État et la fin de la IIe République) prend déjà du plomb dans l’aile.

Je ne vais pas tout détailler, car cela rendrait mon texte interminable. Mais il faut savoir que Napoléon III a spectaculairement et de sa propre initiative politique, démocratisé son régime, par paliers : au début, il assoit son pouvoir sur la centralisation et l’autoritarisme, puis, dès 1860, libéralise à tout va, accompagnant des résultats économiques qui sont spectaculaires (j’y reviendrai).

Enfin, au début de 1870 (neuf mois avant la guerre avec la Prusse qui allait le faire tomber), il fait rédiger une nouvelle Constitution qui met en place une monarchie impériale parlementaire, s’effaçant devant le pouvoir de l’Assemblée, à la manière des monarchies anglaises, hollandaises, suédoises, danoises, espagnoles d’aujourd’hui.

En quelque sorte, il passe la main à la démocratie, tout en gardant la possibilité d’en appeler directement au peuple, à travers les plébiscites (on dirait aujourd’hui, les référendums).

C’est d’ailleurs l’Assemblée, les Républicains notamment, qui pousseront la France à déclarer la guerre à la Prusse, alors que lui-même y est opposé !

La IIIe République s’efforcera de lui mettre sur le dos cette erreur stratégique majeure pour ne pas se confronter à sa propre responsabilité.

Songez que de grands personnages de la République, comme Gambetta et Jules Ferry votèrent pour la guerre, que le fils de Victor Hugo (qui était sa voix en France) poussa à la guerre dans le journal « Le Rappel », accusant le gouvernement de faiblesse face à la Prusse.

Napoléon III, très malade (il souffrait affreusement d’un énorme calcul dans la vessie impossible à soigner à l’époque), prit alors par devoir la tête de l’armée pour aller affronter les Prussiens deux fois supérieurs en nombre (ils étaient 500.000 contre 250.000 Français !).

Sa cousine, la princesse Mathilde, lui dit : « Mais regardez-vous mon ami, est-ce que vous avez l’air d’un guerrier ? » « C’est la fatalité ! » répondit Louis-Napoléon. La fatalité de son nom, qui voulait qu’un Bonaparte soit forcément un grand militaire.

La suite on la connaît : les Français furent massacrés à Gravelotte, puis menacés d’extermination à Sedan, avant que Napoléon III ne jette l’éponge et capitule pour sauver l’armée de l’écrasement.

En effet, Napoléon III n’avait aucun tropisme pour la guerre : Il la fit en allié des Anglais en Crimée (1855) (eh oui, contre les Russes !), car il voulait s’attirer l’alliance anglaise et que les Britanniques ne voulaient pas que l’Empire russe ait un accès à la Méditerranée qui menacerait l’accès aux Indes. On doit à ses généraux les victoires de Malakoff et Sébastopol.

Puis il fit la guerre en Italie, pour aider les Italiens à se délivrer du joug autrichien. Mais malgré ses victoires à Magenta et Solférino en 1859, il arrêta très vite la campagne et signa la paix, bouleversé par le sang répandu à Solférino. C’est grâce à son appui que Dunant créa la Croix Rouge à la suite de cette bataille, et aussi grâce à lui que l’Italie devint indépendante. En récompense, la France reçut la Savoie et Nice.

J’ai rapidement abordé les aspects politiques et militaires de son règne. Mais il reste le point essentiel : l’économie. Et là, sans m’étendre, il me suffira de donner quelques chiffres du miracle économique français dont va largement profiter la IIIe République à la suite :

1850 : La France ne mettait en œuvre que 5300 machines à vapeur d’une puissance de 26000 chevaux, et en 1870, 26000 machines développaient 320.000 chevaux !

La consommation de charbon tripla et le charbon produit en France en représentait les 4/5e le reste devant être importé. La production d’acier fut quadruplée, comme la fonte, (Schneider, Wendel).

L’industrie textile eut un rôle moteur, comme le luxe et la chimie. La grande industrie prit son envol dans tous les secteurs.

L’indice de production industrielle passa de 51 en 1853, à 78. On est loin de la désindustrialisation dont on se plaint aujourd’hui.

La paysannerie représentait encore entre 50 à 60% de la population, les techniques nouvelles commencèrent à pénétrer le milieu rural.

Napoléon fit assécher les marécages des landes et fit planter la fameuse forêt des landes, qui s’étale aujourd’hui sur 1 million d’hectares.

La production agricole passa d’un indice 64 en 1853 à 114 en 1869 !

Pour le rail, c’est aussi la révolution : on passe de 3600 kms de voies ferrées en 1850 à 23300 en 1870, c’est-à-dire exactement le volume réellement exploité aujourd’hui par la SNCF.

4200 tonnes de fret sont transportées par le rail en 1848. 44 millions en 1870 !

Le volume des échanges extérieurs fut multiplié par 4, et Napoléon III signa de grands traités de libre-échange avec l’Angleterre en 1860, puis la Belgique, la Prusse, l’Allemagne du Nord, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, le Portugal… Les Conservateurs ont même parlé à l’époque du « coup d’État commercial ».

Et tout est à l’avenant.

Le Crédit Foncier, le Crédit Lyonnais, la Société Générale, le Crédit Industriel et commercial datent du Second Empire.

Le Franc est alors une monnaie forte.

Enfin que dire des grands travaux, partout en France, et de la transformation radicale de Paris, dirigée par le baron Haussmann sous les directives de l’Empereur, faisant de Paris à l’époque, la plus belle ville du monde ?

Et des expositions universelles, qui furent un triomphe, en 1855 et 1867 ? De la multiplication des villes thermales (il est vrai que de santé fragile, il les a beaucoup favorisées).

Décidemment, Napoléon III mérite une véritable réhabilitation historique, et non l’oubli dans lequel la République, soucieuse de légitimité, l’a enfermé.

Philippe Seguin et d’autres ont écrit sur lui, pour lui rendre justice, dès la deuxième moitié du XXe siècle. Mais il semble qu’il reste encore ignoré de bien des Français.

Bien sûr, il a commis aussi des erreurs, et n’est nullement exempt de critiques.

Pour autant, quel dirigeant est irréprochable ?

Je laisse tout cela à votre réflexion.

Bonne journée

Jean Notary

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