Lettre à mon père de Franck Kafka

Mon avis sur "Lettre au père" de Franz Kafka.

Vous connaissez le terme "Kafkaïen". Le Larousse le définit ainsi: " Dont l'absurdité, l'illogisme rappellent l'atmosphère des romans de Kafka".Kafka

Il est vrai qu'il a beaucoup écrit en langue allemande (il était Juif Autrichien) sur la bureaucratie, dans laquelle l'absurdité et l'illogisme règnent. Une bonne partie de ses oeuvres n'ont été publiées qu'après sa mort, intervenue à 40 ans (en 1924), d'une tuberculose qui le rongeait déjà depuis plusieurs années.

Sa nouvelle "La métamorphose" très connue pourrait apparaître comme une tentative d'explorer le genre "fantastique", mais en réalité, c'est un récit métaphorique : la transformation d'un individu en une mouche répugnante n'est que le reflet du rejet qu'il ressent de lui-même et de sa propre famille.

Dans "Lettre au père" (et non pas "lettre à mon père", ce qui montre déjà une certaine distance), il écrivit en 1919, à 36 ans, déjà malade, une lettre destinée à son propre père mais qui ne lui fut jamais remise, et qui fut publiée en 1952, très longtemps après sa mort (1924).

Il est communément admis que cette lettre est la clé de compréhension de l'oeuvre de Kafka, de son mal-être.

Beaucoup de choses ont été dites à son propos (voir wikipédia) mais je préfère vous donner mon ressenti à sa lecture.

Kafka s'adresse à son père, mais comme il ne lui remet pas cette lettre, c'est en fait à lui-même qu'elle est destinée : une sorte de thérapie pour tenter de réparer un monumental déficit de confiance en soi.

Il reproche à son père à la fois son autoritarisme et sa vulnérabilité, jouant de l'un et l'autre au gré de ses humeurs pour le manipuler, le contraindre, l'humilier, le décontenancer.

Kafka admire son père, son charisme, sa force et son autorité, mais tout à la fois le craint, lui attribue son propre manque de courage, son indécision, son manque de confiance en soi.

Il se dit tout aussi coupable que son père, se déteste pour sa faiblesse.

Issu d'une famille de commerçants juifs de Vienne, son père aurait voulu qu'il prenne sa suite au magasin, mais Kafka ne veut pas marcher dans les pas de son père, qui le fascine pour son charisme, mais dont finalement il a honte en constatant la manière dont il traite ses employés, dans la manière dont il gère son monde, et sa famille.

Nous sommes à l'époque du paternalisme triomphant, où la mère est effacée, obéissante, et vers laquelle Kafka se réfugie parfois, mais qui finit toujours par donner raison au père.

Cette lettre, c'est, au-delà de l'histoire personnelle de Kafka, une lettre universelle, que tout père devrait lire pour éviter la tentation de "jouer un rôle" prédéfini vis-à-vis de ses enfants, celui de l'homme qui croit devoir se hausser lui-même et rabaisser ses enfants pour se sentir légitime.

Un père ne devrait pas vouloir absolument que son fils lui ressemble, fasse ce qu'il voudrait qu'il fasse, devenir ce qu'il voudrait qu'il devienne, tout ça pour justifier aux yeux de la société, du "qu'en dira-t-ton", qu'il a bien rempli sa mission de père.

Les erreurs d'éducation, parfois (et même le plus souvent) inconscientes, ont des répercussions terribles sur les enfants, et Kafka le montre bien. Rien n'est anodin.

Un enfant élevé pour être un homme libre qui décide par lui-même est parfaitement à même de repérer les erreurs dont il a pu souffrir et peut les pardonner à son père, si toutefois il n'a pas été écrasé par un autoritarisme qui l'a paralysé.

Kafka a souffert et est resté toute sa courte vie un homme brisé, torturé, en raison d'une éducation dévoyée. Peut-être sa souffrance a-t-elle alimenté son génie, mais c'est une maigre consolation, car c'est uniquement à nous qu'elle profite.

Un constat terrible, voilà pourquoi je pense que cette lettre est importante et s'adresse à tous les futurs pères, et à ceux qui le sont déjà, s'il n'est pas trop tard...

Bonne journée à tous

Jean Notary

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