Le Pays des autres, de Leila Slimani

Le pays des autres

Bonjour à tous,

Aujourd'hui, je vous donne mon avis sur :

« Le Pays des autres » de Leila Slimani (chez Folio).

J’avais lu de Leila Slimani son roman « Chanson douce », prix Goncourt 2016, qui fut adapté au cinéma. Je découvrais alors le double visage de l’auteure : un style fluide et léger au service d’une plume trempée dans l’encre la plus noire. Chanson douce est un « thriller de femme » si j’ose dire, subtil et glaçant, dont on n’imagine pas la violence cachée derrière les conventions de langage avant qu’elle ne surgisse, comme par surprise.

Qu’en serait-il du « Pays des autres » ?

Après le succès d’un premier livre, le marketing des éditeurs a tendance à s’affoler et à surjouer l’enthousiasme pour attirer le lecteur vers le nouvel ouvrage. Le bandeau rouge amovible qui enserre le bas de la couverture (et qui mime un prix littéraire) l’annonce : « une fresque époustouflante portée par un suspense implacable ». Et c’est signé François Busnel, de « la Grande Librairie ».

Oubliez les termes « fresque époustouflante » et « suspense implacable ». Pour moi, ces termes sont inappropriés. Cela ne veut pas dire que le roman est terne, bien au contraire.

Je l’ai beaucoup aimé.

Il s’agit d’une histoire forte, terriblement authentique en ce qu’elle est à la fois lucide et tragique.

Mathilde est Alsacienne, d’un milieu modeste, et rencontre chez elle, en Alsace, Amine, un combattant Marocain engagé dans l’armée française coloniale pour participer à la Libération de la France en 1944.

Il est viril, aimant, et elle, terriblement en attente d’un premier et grand amour. Dans cette période de grands bouleversements, de grand mélange, de rencontres exotiques, de libération des sens frustrés par des années d’interdits et de privations, elle succombe aux charmes du bel Arabe.

Leila Slimani ne se prive pas, pour plus d’authenticité, de décrire, crûment et sans tabou, leurs rapports intimes, et la dépendance physique de Mathilde pour son étalon du désert.

S’agissant d’un soldat, en pleine guerre, l’histoire d’amour aurait pu tourner court, et ne constituer que le souvenir d’une passion de jeunesse. Il n’en est rien : Amine est sérieux, il a des projets (reprendre une ferme au Maroc), et lui propose de l’épouser.

Ils se marient en Alsace, puis, à la fin de la guerre très proche, les voilà qui s’installent à la campagne près de Meknès.

L’univers de Mathilde va alors radicalement changer. Elle aime et aimera toujours Amine, l’homme sérieux et responsable, mais qui, replongé dans son univers – sa famille, la religion musulmane, la place de la femme dans la société marocaine – est contraint de composer en permanence entre son désir de modernité, et le poids des traditions, l’attirance pour la civilisation laïque française et la réalité de l’oppression coloniale encore présente dans son pays.

Mathilde aussi est prise au piège de ces lourdes contradictions, elle, la femme libre, catholique de naissance (sans être spécialement pratiquante), doit bientôt compter avec le regard des autres, la société rurale marocaine qui la trouve « scandaleuse », et des Colons français qui la méprisent.

Les enfants nés de leur union – qui ne vaut rien aux yeux des Marocains et pas grand-chose aux yeux des Français – subissent les mêmes humiliations, les mêmes déchirures, tiraillés entre deux mondes qui les rejettent.

Les tensions politiques, la guerre d’indépendance qui couve (dans les années cinquante), la dureté du labeur d’agriculteur, l’opprobre dont il est couvert par sa communauté qui le pousse à redevenir pleinement l’un des leurs, l’omniprésence d’une culture patriarcale exacerbée, sont autant de facteurs qui expliquent la métamorphose d’Amine.

Il cède à la violence sur Mathilde, pour la rendre plus docile. Il finit par la frapper rudement, tout comme les frères battent leurs sœurs et les maris leurs femmes pour tout écart de conduite.

Leila Slimani ne dissimule rien, n’occulte rien, jusqu’à la nausée.

Et sa conclusion est terrible, écrite sous la forme d’une métaphore agricole : Amine a fait pousser des arbres fruitiers sur son domaine, et s’est lancé dans des expériences agronomiques, toujours tiraillé entre modernité et tradition.

Il a créé un « citrange », mélange de citronnier et d’oranger.

Quand sa fille lui demande :

- « est-ce que nous sommes du côté des gentils ou bien des méchants ? »,

Il répond :

- « Nous, dit-il, nous sommes comme ton arbre, à moitié citron et à moitié orange. Nous ne sommes d’aucun côté ».

Amine couche sa fille, ferme la porte et dans le couloir, écrit l’auteure :

« il songea que les fruits du citrange étaient immangeables. Leur pulpe était sèche et leur goût si amer que cela faisait monter les larmes aux yeux. Il pensa qu’il en allait du monde des hommes comme de la botanique : À la fin, une espèce prenait le pas sur l’autre et un jour, l’orange aurait raison du citron ou l’inverse et l’arbre redonnerait enfin des fruits comestibles ».

On ne peut pas faire plus pessimiste et tragique.

Mais n’hésitez pas à lire ce beau roman : il est vrai, très bien écrit, très puissant.

Jean Notary

Ajouter un commentaire

Anti-spam