La guerre des intelligences, du docteur Laurent Alexandre

La guerre des intelligences

Mon avis sur « La guerre des Intelligences » du docteur Alexandre Laurent (chez Lattès).

ATTENTION, à manier comme une fiole de nitroglycérine…

Si vous lisez la fiche Wikipedia de l’auteur, vous découvrez un personnage pour le moins clivant, classé de temps en temps très à gauche (sur les questions de société comme la GPA), au centre-droit (il a appelé à voter Macron), voire à l’extrême-droite (pour certaines déclarations climatosceptiques et une position ambiguë sur l’eugénisme). Son CV est impressionnant : chirurgien, énarque, cofondateur de Doctolib (dont il a vendu ses parts ce qui a fait de lui un millionnaire).

Mais ce n’est pas lui qui m’intéresse en tant que tel, mais les réflexions qu’il mène sur le sujet de l’évolution phénoménale de l’intelligence artificielle qui va très profondément bouleverser, et dans un avenir proche, notre société, nos valeurs, notre organisation, notre démocratie, nous obligeant à prendre des positions politiques, éthiques, sociales radicalement nouvelles.

L’intelligence artificielle représente-t-elle une formidable opportunité ou un danger mortel pour l’humanité ?

Le point central, c’est le terme d’intelligence : qu’elle soit biologique ou artificielle, encore faut-il la définir et la mesurer.

Le terme, issu du latin, signifie la connaissance, définie comme la capacité à lier des informations entre elles.

De cette définition (bien qu’à la fin de l’ouvrage il admette qu’il existe plusieurs formes d’intelligence), va découler beaucoup de conséquences que je vais essayer de résumer :

1 L’intelligence est-elle innée ou acquise ? Et si elle est la combinaison des deux, comment se répartit-elle ? Comment la mesurer ?

Cette question pourrait paraître anodine mais elle est lourde de sens : si l’on admet qu’elle est avant tout innée, cela signifie qu’elle est l’apanage d’individus qui en héritent génétiquement, par conséquent on ne peut faire grand-chose pour développer la sienne quand elle est, disons, moyenne… L’idéologie fasciste en a fait ses choux gras : elle croyait avant tout à la force de l’inné, définissant bien entendu des « races » supérieures et d’autres inférieures et donnant des bases objectives aux inégalités.

L’autre idée est que l’intelligence serait uniquement modelée par son environnement, et donc par l’école et la famille, qui la développeraient : c’est une thèse « communiste », qui donne la primauté à l’école, à l’influence de la formation, et exclut la génétique. Si tout est culturel, il est possible de « rééduquer » l’Homme, de le rendre meilleur, voire plus intelligent.

Sur ce sujet, sa position est ainsi définie : il écrit :

« … Il est aujourd’hui établi que notre ADN détermine au moins 50% de notre intelligence. Les environnements familial et scolaire doivent se partager une part déjà minoritaire…Plus marquant encore, le rôle de la génétique croît entre l’enfance et la fin de l’adolescence. À ce moment, le rôle de l’environnement a encore diminué ; la part de la génétique compte pour près de 80% de l’intelligence ! Cette croissance du rôle de l’hérédité jusqu’à vingt ans tend à montrer que c’est finalement moins l’état initial du cerveau qui s’hérite que son caractère plastique (c’est-à-dire qu’il peut accroître ses capacités d’apprendre comme les perdre si elles ne sont pas stimulées). C’est la plus ou moins grande plasticité du cerveau qui fait la capacité à apprendre ». Pour lui, à l’école, tout est joué d’avance car elle ne compense pas les différences d’environnement familial, ne représentant que 20% du temps éveillé de l’enfant.

Sur la mesure de l’intelligence :

Le seul étalon connu pour la mesurer serait aujourd’hui le Quotient Intellectuel (QI).

Bonne et mauvaise nouvelle : il peut évoluer. Le QI moyen en France aurait diminué ces dernières décennies (et augmenté en Asie), ce que certains chercheurs (qu’il cite) attribueraient au fait que les gens « intelligents » auraient désormais moins d’enfants que les autres et donc que ça ferait baisser la moyenne…

2 – Quelle est le rapport entre QI « supérieur » d’une part et revenus et pouvoir d’autre part ?

84% des familles des élites chinoises de 2017 faisaient déjà partie de l’élite avant la révolution maoïste, autrement dit, avant le communisme. Et pourtant, ces mêmes familles furent décimées, leurs biens et leurs fortunes confisquées. Pour l’auteur, c’est une preuve stupéfiante que la domination sociale de certains groupes comporte une part d’origine génétique. Autrement dit : les plus intelligents étaient au pouvoir avant, et l’ont retrouvé parce que cette intelligence s’est génétiquement transmise à leur progéniture qui ont reconquis le pouvoir perdu, en plus d’être entretenue et développée par l’environnement culturel supérieur des familles en question.

Il note en effet un lien étroit entre QI élevé et revenus élevés, qui procurent naturellement un pouvoir (politique) plus grand.

Il cite également une étude néo-zélandaise qui indique que la consommation régulière (au moins 4 fois par semaine) de cannabis à l’adolescence entraînerait une altération mesurable des performances intellectuelles : à l’âge adulte, cette dégradation serait de 8 points, c’est-à-dire ce qui (je le cite) « sépare un ingénieur d’un technicien, d’un docteur d’un infirmier » ( !)

Ce qu’il présente comme une vérité est terriblement difficile à accepter.

Il dit : « Emmanuel Macron déclencha, on s’en souvient, une violente polémique menée par les bien-pensants lorsqu’il fit remarquer que la reconversion des ouvrières de Gad serait difficile, puisque beaucoup étaient illettrées. La plasticité cérébrale n’est hélas pas illimitée, sinon les ouvrières de Gad deviendraient data-scientists ou physiciens nucléaires en suivant une formation…les différences d’intelligence et leurs lourdes conséquences, sont une réalité indicible pour les pouvoirs publics ».

Pour l’auteur, « les pouvoirs publics garderont le silence en matière d’inégalités de QI (même si Emmanuel Macron finalement n’a pas dit autre chose avant sans doute de le regretter) car on préférera laisser d’autres discours prospérer : les discours anticapitalistes pour qui les hiérarchies de classes ne sont que la conséquence de la mondialisation ultra-libérale, ou bien parce que les riches sont chanceux ou malhonnêtes.

Pour les conservateurs au contraire, il n’est pas question non plus d’accepter l’explication d’un déterminisme génétique : pour eux, il est plus commode de penser que les différences sociales sont le reflet du mérite des gens c’est-à-dire que certains ont plus travaillé pour réussir leur vie ».

Il écrit : « personne ne veut s’entendre dire que son absence de réussite sociale ou scolaire est due à un manque d’intelligence. Être une victime du système ou même à la limite un paresseux, a plus de dignité à nos yeux que d’être un défavorisé de l’intellect… »

Le décor étant planté, ce qui est essentiel pour comprendre l’enjeu de l’intelligence artificielle, on arrive enfin au cœur du problème.

3 – Bouleversement à venir par l’arrivée de l’intelligence artificielle :

Ce qu’il faut savoir :

1ere étape :

Très vite, l’intelligence artificielle, déjà introduite silencieusement dans nos vies, va atteindre une performance et une efficacité telles qu’elle va rendre nos propres intelligences, qu’elles soient moyennes ou élevées, totalement dépassées. C’est une question de mois, au plus de quelques années, pas davantage.

Les machines qui en seront dotées seront capables de rendre des services bien plus grands, à moindre coût, que bon nombre de professionnels humains, même de haut niveau. L’auteur cite les comptables, les orthodontistes, et bon nombre de médecins, biologistes, de chirurgiens. Les patrons des GAFA, très investis dans l’IA, alimentée par une quantité phénoménale de données recueillies ces dernières années, prédisent à très moyen terme la disparition de 300 millions d’emplois « traditionnels », essentiellement dans les métiers qui étaient jusqu’ici considérés comme « intellectuels ». Par une sorte de revanche de l’Histoire, les métiers manuels résisteront plus longtemps, car ils ne seront remplacés que plus tard, par les robots, qui sont encore en cours de développement, et très chers à produire aujourd’hui, comparativement à l’IA, qui sera au contraire très bon marché et disponible partout.

2eme étape :

La course au QI :

Dès lors que l’intelligence biologique sera dépassée, et qu’il existe un lien entre QI élevé et réussite/revenus/pouvoir, la tentation sera grande de vouloir augmenter l’intelligence humaine en utilisant, comme les travaux actuels le préparent, des implants cérébraux destinés à la booster, pour suivre les performances de l’IA.

Or cela fera exploser les inégalités de QI, qui étaient déjà, si l’on suit le raisonnement de l’auteur, à l’origine d’inégalités sociales majeures. Ce sera la course à la performance, pour une élite déjà dotée, qui deviendra carrément inaccessible.

Tout le monde voudra sa puce personnelle pour devenir plus intelligent, ne voulant pas être exclu de l’univers du travail. Nous deviendrons au sens propre, pour ceux qui y auraient accès, des cyborgs. De la Science-Fiction ? en 1980 oui. Aujourd’hui, on est tout près de cette perspective.

De multiples conséquences pourraient en découler. Il serait trop long de les énumérer, je laisse cela à votre imagination.

3e étape :

L’IA deviendra autonome : non plus le produit de données introduites en son sein, facilité par la capacité et la vitesse phénoménales des nouveaux et prochains ordinateurs, mais carrément capable de « penser » par elle-même.

Comment en garder le contrôle ? Aucun humain, même boosté par des implants, ne pourra rivaliser. Comment s’assurer que l’IA « forte » ne sera pas hostile à ses créateurs humains qui en auraient perdu le contrôle ?

Le livre va très loin dans les réflexions liées à cette problématique.

Dernière chose : l'auteur est sans surprise un scientifique athée, qui affiche dès le départ son mépris et son hostilité pour les religions, déclarant sans nuance que "la Science montre que nous n'avons aucun besoin "d'âme" pour exister".

Pourtant, évoquant la vision apocalyptique d'une IA hors de contrôle, il milite pour introduire dans l'IA des préceptes qui doivent tout aux religions monothéistes, du genre "tu ne tueras point" (les humains) et tout un panel de codes moraux directement hérités de la Bible pour la "civiliser". Cela m'a fait sourire...

Si les questions posées par cette perspective vous intéressent, il est temps que j’arrête mon post. Lisez le livre, 3,49€ en version numérique…

Bon week-end à tous

Jean

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