Mon avis sur le livre "La dette au XXIe siècle, comment s'en libérer", de Nicolas Dufrêne chez Odile Jacob.
Bonjour à tous,
Ah ! la dette ! On en parle maintenant matin midi et soir dans les médias. Avec toujours une série d'angoissantes questions : "Va-t-on devoir augmenter les impôts?" "Sommes-nous en faillite?" "Va-t-on encore nous prêter?" "3000 milliards, 115% du PIB"...
Faire payer les riches? (Lesquels exactement et est-ce que ça suffirait ?). Faire payer les chômeurs? Les retraités? Les immigrés?
Dans mon livre écrit en 2021, "Cinq siècles à Rebours", je plantais un décor de chaos, de violences, d'un État à la dérive, après l'explosion de la bulle financière par excès de dettes, et faisais évoluer mes personnages et l'énigme du roman dans ce contexte. Brrr... L'angoisse était déjà là.
Alors? Qui a la solution à ce problème qui ne fait qu'empirer depuis le dérapage de la dette et des déficits depuis cinquante ans? La gauche qui veut encore augmenter les impôts ? la droite qui veut réduire toujours davantage le périmètre d'intervention de l'État, quitte à étouffer les services publics, école, hôpitaux etc?
Et si l'on comprenait mieux le mécanisme de la dette? C'est ce que propose de nous expliquer Nicolas Dufrêne, qui non seulement démonte les logiques de la dette publique et privée qui augmentent sans arrêt, mais également ouvre la voie vers une solution d'un désendettement sans douleur pour peu qu'on s'en donne les moyens.
Mais quels moyens, par quel miracle ?
Des moyens qu'on se garde bien de nous proposer, tant ils remettent en cause le pouvoir de la finance privée, qui monopolise les trois quarts de la création monétaire de la BCE dans le seul but d'accroître la valeur des actifs financiers au détriment de l'intérêt collectif.
Ce qu'il faut savoir :
1. La croissance de l'économie est étroitement liée à l'accroissement de la masse monétaire.
2. Cette masse monétaire est créée par la dette : à chaque création monétaire correspond une dette. Il n'y a pas de monnaie sans dette associée, la BCE n'étant pas autorisée à financer directement un déficit public. Les banques prêtent, se refinancent auprès de la banque centrale qui crée la monnaie correspondante.
3. Tout remboursement de dette est par conséquent une destruction monétaire, donc qui diminue la masse monétaire donc la croissance.
4. Un gouvernement, de droite ou de gauche, est condamné à "s'endetter" pour relancer l'économie, mais il doit payer des intérêts au secteur financier privé, et les trois quarts de la monnaie produite se perd dans les "trous noirs" de l'économie, par le renchérissement des prix des actifs financiers et l'immobilier. Un quart seulement permet d'augmenter la masse monétaire "active" dans l'économie réelle. Mais ce quart là n'est évidemment pas suffisant pour couvrir le coût de la dette totale. Alors il faut réemprunter...
5. Plus l'État s'endette, plus il doit des intérêts, lesquels augmentent avec le poids de la dette. S'il augmente les impôts, il diminue le pouvoir d'achat des ménages et des entreprises, qui ont donc moins d'argent pour le dépenser dans l'économie réelle.
6. On est donc dans un problème sans fin, qui engraisse le secteur financier privé, mais qui paradoxalement lui fait prendre de plus en plus de risque quant à la solvabilité de ses débiteurs.
7. La crise de 2007 n'a servi à rien : aucune leçon n'en a été tirée: ce sont toujours les mêmes règles qui amèneront des crises de plus en plus dures et d'ampleur toujours plus importantes.
8. La BCE, à l'idéologie fondamentalement néo-libérale et monétariste, est indépendante des États, et ne gère la création monétaire que selon ce schéma... Sauf quand une crise majeure intervient, où elle déroge à la règle pour "sauver" le secteur financier, mais au prix d'un endettement encore accentué des États qui sont contraints d'exiger toujours davantage du contribuable moyen pour combler les trous. Elle dit qu'il n'y a pas d'argent magique (argument repris par nos brillants gouvernants) mais a multiplié son bilan par 4 pendant la crise du Covid (par pure création monétaire). Quand elle veut, elle peut.
9. Tout au long de l'Histoire, la Grande Bretagne, les USA, (malgré leur politique ultra-libérales) ont fait défaut sur leurs dettes à plusieurs reprises. La France aussi, notamment en 1797 des 2/3. L'Allemagne, qu'on présente en exemple, a vu sa dette publique effacée des 2/3 lors de la conférence de Londres en 1953. Sans cela, elle aurait à nouveau plongé dans un chaos comparable à celui des années trente qui la conduisit au nazisme.
10. Pourquoi la BCE refuse-t-elle d'effacer la "dette Covid", qu'elle a dans ses comptes, soit 4000 milliards d'euros dont 850 milliards pour la France? Vous vous dites certainement qu'elle serait en faillite? C'est faux, une banque centrale n'est jamais en faillite, car elle peut émettre autant de monnaie qu'elle veut. Et c'est bien ce qu'elle a fait entre 2020 et 2023, sans contrepartie. Vous pensez que ce seraient les banques qui seraient perdantes, ou bien les épargnants? Non. Rien ne changerait pour les dettes privées. En revanche, cela poserait un vrai problème : les acteurs financiers privés qui jusque-là sont les seuls à en capter les intérêts et ont une BCE à leur botte verraient la précieuse augmentation de la masse monétaire leur échapper avec le pouvoir de création monétaire.
11. Nicolas Dufrêne ne propose pas un effacement pur et simple, mais un effacement conditionné au réemploi de ces sommes faramineuses libérées de la dette dans les investissements écologiques et sociaux dont nous avons besoin : car on n'atteindra pas la neutralité carbone, ni le redressement des services publics, ni le renforcement de l'armée devenue indispensable sans investir massivement, or ces trois domaines ne sont pas "rentables" à court terme, donc n'intéresse nullement les banques privées ni les États surendettés tant ils n'ont plus de marge de manœuvre. Cette opération salutaire n'entraînerait aucune hausse d'impôts, donc conserverait intacte le pouvoir d'achat.
12. La BCE ne veut pas en entendre parler. Parce qu'elle est juridiquement indépendante, qu'elle n'a pour mission que de lutter contre l'inflation, même si ça doit étouffer les économies dont elle a la charge, et provoquer le surendettement asphyxiant des États. Nicolas Dufrêne (et tout un collectif d'experts, économistes) propose une gestion différente de la mission de la Banque centrale.
Je ne pourrais pas vous donner tous les détails, et il est vrai que l'ouvrage est technique, mais pas inabordable, vu les efforts de vulgarisation que l'auteur a entrepris. Bien des questions, des conséquences de ces évolutions sont expliquées. Ma formation économique est lointaine mais cette question m'ayant toujours passionné, j'ai trouvé l'ouvrage accessible. Et je me désespère de voir que le système est aujourd'hui bloqué, et alimente le creusement scandaleux et abyssal des inégalités, au profit d'une caste d'une cupidité sans limite et totalement irresponsable car sa logique amène à l'écroulement programmé de ce modèle qui auto-alimente sa propre perte.
Ne serait-ce que pour avoir un autre son de cloche que celui qui nous est servi sur toutes les chaînes de télévision, dans la presse, et par nos gouvernants totalement acquis à la logique de ce schéma délétère, il est utile de lire ce livre.
Il dépasse complètement les clivages gauche/droite, enfermés dans le conservatisme de la pensée, et qui ne sont au final que les idiots utiles des grands intérêts du secteur financier privé.
Osons envisager une autre approche, et si nous ne le faisons pas, elle s'imposera à nous, cette fois dans la douleur.
Bonne journée à tous
Jean