La confession d'un enfant du siècle, d'Alfred de Musset
Mon avis sur « La Confession d’un enfant du siècle » d’Alfred de Musset, folio classique, 368 pages (dont 60 de notes et commentaires très utiles).
Me voilà vêtu façon XIXe siècle pour la circonstance afin de vous parler de ce roman magistral et de son auteur.
Romantique, amoureux exigeant, hyper sensible, esprit torturé…
Alfred de Musset est un auteur majeur de la première moitié du XIXe siècle, qui aura vécu intensément pendant sa courte vie. Il meurt à 47 ans de la tuberculose, bien aidée par son alcoolisme et sa vie de débauché désespéré.
Il est enterré au Père Lachaise, et deux poèmes figurent sur sa tombe, qui disent beaucoup de son personnage :
« Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
J’aime son feuillage éploré ;
La pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
À la terre où je dormirai ».
Et à l’arrière du monument funéraire :
« Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon cœur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s'ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une sœur fidèle.
Écoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi ».
On lui doit des pièces de théâtre qui vous disent sûrement quelque chose : « À quoi rêvent les jeunes filles » (il n’a pas 20 ans), « Les caprices de Marianne » (22 ans), son chef d’œuvre « Lorenzacio » (24 ans), « On ne badine pas avec l’amour », entre autres.
En novembre1833 (il a 22 ans), il rencontre George Sand, de 7 ans son aînée, dont il va devenir l’amant. Sa relation passionnée qui se termine par sa rupture en mars 1835 va inspirer son roman « La confession d’un enfant du siècle » dont il est question ici, au point qu’on peut le qualifier d’autobiographique.
Le choix du titre est éloquent : le terme de confession évoque la culpabilité, la demande de pardon, la rédemption attendue. Encore faut-il avoir une conscience, et se juger soi-même avant d’être jugé par autrui, fût-il divin.
Indiscutablement, à la lecture du roman, ce terme est justifié.
Ensuite, le qualificatif « d’enfant ».
Musset, à travers son personnage, Octave – mais c’est en fait de lui dont il parle – n’a que dix-neuf ans lorsqu’il s’éprend d’une première femme plus âgée, qui en fait son amant plus qu’il n’en fait sa maîtresse. Or cette situation dont il prend finalement conscience, parce que c’est elle qui mène le jeu, blesse son ego.
Sa vulnérabilité affective lui apparaît flagrante quand il se rend compte qu’elle le trompe avec un autre amant, et qu’il en souffre terriblement. Il se qualifie lui-même d’enfant, pour justifier son manque de clairvoyance, son innocence face à la trahison. Cette trahison le guérira-t-elle de sa candeur enfantine ? Rien n’est moins sûr.
Enfin, « du siècle » :
Musset est né en 1810, c’est-à-dire pendant le Premier Empire, et même si sa jeunesse se situe pendant la Restauration des Bourbons, l’époque est imprégnée des récits de la Révolution et de l’épopée napoléonienne, qui ont légué à cette jeunesse du début du XIXe siècle un esprit de défi, de grandeur, d’aventure et une remise en cause de l’ordre établi.
Elle fait sienne les débats, les controverses philosophiques du siècle précédent, celui des Lumières, et s’interroge sur la place de la religion (revenue en force au pouvoir mais qui va rapidement décliner tout au long du siècle), et l’existence de Dieu.
En cela, c’est une époque charnière, et Musset, à travers son personnage d’Octave, s’inscrit dans ce monde-là, d’où la précision « du siècle ».
Dans la Confession d’un enfant du siècle, Octave, très jeune, est donc trahi par une première maîtresse, et sa rupture avec elle le marquera au fer rouge.
Autant dire qu’il ne s’en remet pas. S’ensuit une vie de débauche, dans laquelle, devenu misogyne, il multiplie les aventures avec des femmes « de mauvaise vie ».
Puis il se dégoûte lui-même de cette vie, se juge débauché, indigne, et la mort de son père (celle du personnage, mais dans la vraie vie, Musset vit la même perte) le contraint à quitter Paris pour la campagne où il emménage dans la demeure paternelle et tente de renouer avec une vie saine.
Mais après quelques mois, Octave s’éprend d’une jeune veuve, âgée de sept ans de plus que lui (comme George Sand par rapport à Musset), qui mène une vie pieuse et tranquille, respectant les conventions, particulièrement scrutées dans les villages à cette époque, surtout vis-à-vis des femmes.
Il n’ose pas lui faire la cour, mais lui rend visite souvent, se promène avec elle, lui tient compagnie. Elle est charmante, discrète, bien élevée. Mais il a peur. Peur de l’amour, peur des femmes qu’il a jugées si mal après son expérience malheureuse.
Finalement il ose, mais elle résiste, longtemps, comme une femme digne et bien éduquée, irréprochable au regard de la bonne société. Et puis elle cède. Elle n’aurait peut-être pas dû…
Ils deviennent amants. Ça jase au village. Mais elle est amoureuse, et elle sacrifie ainsi sa réputation, et le bonheur simple de sa vie campagnarde.
La suite n’est plus aussi rose. Non, ils ne se marièrent pas et n’eurent jamais d’enfants. Le roman n’est pas un joli conte.
Octave n’est pas guéri de la trahison de sa précédente maîtresse, bien qu’il se confie à Brigitte (la jeune veuve) sur son passé, il n’arrive pas à tourner la page, et nourrit désormais pour sa nouvelle maîtresse une suspicion qui va vite devenir insupportable.
M’aime-t-elle vraiment ? N’a-t-elle pas, secrètement d’autres amants ? Qu’a-t-elle voulu dire quand elle a évoqué ceci ou cela ? Quel est son passé ? Qu’a-t-elle fait une fois veuve ? Garde-t-elle des secrets inavouables ?
La jalousie, le manque de confiance en soi et en l’autre sont des poisons insupportables, capables de tuer l’amour le plus pur.
J’ai souffert en lisant les passages où cette pauvre Brigitte s’efforce de trouver le bon ton, la bonne attitude, pour plaire à Octave, et ne pas regretter les sacrifices qu’elle a déjà consentis au regard de sa vie d’avant.
Le héros (Octave) passe beaucoup de temps à s’interroger sur le sens de la vie, de la mort, de l’après, de l’existence de Dieu, balançant entre athéisme et piété, et surtout sur l’amour, sa réalité, sa consistance, ses limites…
La Confession d’un enfant du siècle est un beau roman, profond, tragique, mais qu’on ne peut comprendre aujourd’hui qu’en se replaçant dans le contexte de l’époque, des mœurs du temps.
Remarquablement écrit, le phrasé est exigeant du point de vue de la langue, avec l’emploi (habituel pour les romans du XIXe siècle) de l’imparfait du subjonctif qui donne au récit, nuance, subtilité et élégance.
Ce roman s’adresse donc à celles et ceux qui aiment la langue française, et connaissent ou veulent connaître un mode de pensée, un système de valeurs considérés aujourd’hui comme désuets, mais pas seulement : car les mécanismes de l’amour, décrits ici avec infiniment de richesse et de subtilité, sont eux, éternels, et donc actuels.
Bonne lecture
Jean Notary