Guerre, de Louis-Ferdinand Céline

Guerre

Mon avis sur « Guerre » de Louis-Ferdinand Céline

Bonjour à tous,

Après le « Hussard sur le toit » de Jean Giono et « Le Pays des autres » de Leila Slimani, je vous donne mon avis sur « Guerre », un roman inédit de Louis-Ferdinand Céline, paru récemment à la suite d’une rocambolesque histoire que je n’évoquerai pas ici. Il y a tant de péripéties à relater à propos des manuscrits retrouvés que cela me prendrait trop de temps et du reste je n’en connais pas tous les détails.

Céline (de son vrai nom Destouches) est un personnage, avant d’être un écrivain. Vous le savez sans doute, il est l’une des incarnations de l’antisémitisme le plus virulent de la fin des années trente et début quarante. Ses pamphlets, ses écrits au vitriol sur les Juifs et son admiration affichée pour Hitler et l’idéologie nazie, en pleine occupation, ne peuvent pas le rendre sympathique ou même respectable, rétrospectivement et politiquement parlant.

Beaucoup, sachant cela, ne veulent pas même lire ses œuvres littéraires, comme s’ils craignaient d’être contaminés par ses pensées malsaines. Je trouve cela idiot. Je me sens suffisamment immunisé pour tout oser lire ou voir. Connaître, c’est mieux que fermer les yeux et s’en remettre aux autres pour savoir quoi penser.

Car il y a aussi le Céline qu’on qualifie de génie de la littérature, et pas simplement par quelque obscur critique. De grands noms, même ceux qui ne lui pardonnent pas son « virage » à l’extrême droite, reconnaissent en lui un novateur dans le style, et un talent indéniable.

Philip Roth, célèbre écrivain juif américain, déclara dans « le Washington Post » à propos des romanciers français: « Céline, pour moi, est le plus grand de tous ces romanciers — brutal, féroce, témoin exalté d’un monde élémentaire, qui nous entraîne toujours plus profond dans la nuit. La mort, l’agonie, le crime, la culpabilité, les récriminations, la folie, le sexe — tout cela et encore davantage était son ordinaire ».

Il faut dire aussi que Céline, l’écorché vif, a intellectuellement navigué dans un monde réellement atroce et bouleversant pour n’importe quel être humain. À vingt ans, jeté dans l’enfer de la première guerre mondiale, blessé, il souffrira dans sa chair de l’horreur absolue engendrée par cette tragédie qui faucha tant et tant de jeunes Français : nos monuments aux morts, même dans le plus petit village, témoignent de l’hécatombe en nous livrant la liste interminable des disparus.

Ceux qui ont regardé l’excellente série « Les combattantes » sur TF1, diffusée ces jours-ci, ont une petite idée en images de l’ampleur de la tragédie. Mais pour s’y plonger totalement, je conseillerais le roman de Roland Dorgelès « les Croix de bois ».

Céline, quant à lui, écrira sur cette période « Voyage au bout de la nuit », qui lui valut la gloire en décrochant le prix Renaudot en 1932. Il n’avait pas encore manifesté d’opinion antisémite. Sa pensée politique hésitait manifestement sans pouvoir se fixer, suscitant parfois l’espoir à gauche de le voir rejoindre les mouvements révolutionnaires « progressistes » notamment par sa dénonciation de la guerre, du capitalisme, de la bourgeoisie dans « Voyage au bout de la nuit ».

On lui proposera de rejoindre le parti communiste, et il sera invité en URSS. Il ira, mais en reviendra profondément anti-communiste, tout comme il ira visiter les usines Ford aux États-Unis et en reviendra farouchement anti-capitaliste. C’est dire à quel point Céline est tiraillé, bouleversé, incapable de nuance, dans cette période confuse et déstabilisée de l’entre-deux guerres, jusqu’à se perdre finalement en épousant l’idéologie nazie, probablement – mais c’est mon humble avis – pour son côté « fascinant » plus que « fascisant ».

Mais revenons à « Guerre ». Le manuscrit retrouvé fit l’objet d’un important travail de décryptage, au point que son éditeur Gallimard a indiqué à certains endroits, au beau milieu d’une phrase : « mot illisible ». Pas de quoi rendre le texte incompréhensible, heureusement.

L’action se situe pendant la première guerre mondiale, et le personnage principal, n’est autre que … lui-même, car nous sommes en présence d’un récit à la fois autobiographique et imaginaire. Il porte le prénom de Ferdinand, a été blessé au bras, mais surtout à la tête (Céline a été blessé au bras mais semble-t-il pas à la tête).

Je ne vais pas vous raconter l’histoire, parce qu’au fond, elle est inracontable. Ici point d’énigme, quelquefois du suspense, mais un témoignage cru et violent de la vie intime de soldats blessés, récupérés à l’arrière du front dans des circonstances que les services de l’armée tentent d’élucider pour savoir si cet abandon de poste est dû à un comportement héroïque lors d’une phase confuse de combat, ou à une désertion qui vaudra le peloton d’exécution à son auteur.

La tension est palpable dans les chambrées de l’hôpital militaire.

À la douleur engendrée par les atroces blessures charnelles qui sont dénombrées, s’ajoute l’incertitude du futur qui entraîne un stress angoissant pour les rescapés : serai-je démobilisé ? Retournerai-je au combat ? Serai-je blanchi ou condamné ?

Cette angoisse existentielle pousse sans doute les jeunes mutilés à une recherche frénétique de sexe, comme preuve de vie, d’énergie vitale, sans lien avec l’amour et les sentiments. Des infirmières réellement lubriques abusent de leurs malades par des pratiques on ne peut plus perverses (témoignage ou fantasme de l’auteur, qui, après la guerre, deviendra médecin ?). Des prostituées visiblement plus femmes d’affaires que soumises (là encore, témoignage ou fantasme ?) s’affranchissent de leur souteneur, surtout s’il est lui aussi en état de faiblesse. Le fait est que Céline ne fait pas dans la dentelle. Ce qui m’amène à parler du style.

Si vous pensez qu’un écrivain récompensé par un Renaudot en 1932, écrit un français académique, recherché et fluide, vous n’y êtes pas du tout. J’ai moi-même été décontenancé au début. Et puis on s’y fait. Pour tout dire, c’est un peu comme si les personnages, de rudes soldats issus de la paysannerie en 1914, étaient interviewés, et leurs propos scrupuleusement retranscrits. Ce choix littéraire a l’avantage de l’authenticité. On vit l’histoire, aux premières loges, et non pas de manière distanciée par la douceur d’une tournure de phrase. Ici, le verbe est roi. Il s’exprime crûment.

Philip Roth avait raison : « brutal, féroce, témoin exalté d’un monde élémentaire, qui nous entraîne toujours plus profond dans la nuit. La mort, l’agonie, le crime, la culpabilité, les récriminations, la folie, le sexe — tout cela et encore davantage était son ordinaire ».

À l’époque, il ne pouvait pas parler de « Guerre », puisque nul n’en connaissait l’existence. Mais il se référait à « Voyage au bout de la nuit ». Toutefois, je pense que cette analyse pourrait parfaitement se référer à « Guerre ».

Que dire de plus ? Si vous voulez lire Céline, acceptez d’être bousculé. Préparez-vous mentalement à ses excès, oubliez vos références littéraires, le français académique. Ce n’est ni du Maupassant, ni du Giono, ni même du Zola. Mais c’est bien de temps en temps de s’éloigner des modèles et de prendre le risque d’être surpris.

« Guerre » fait partie des romans écrits avant que Céline ne soit contaminé par les délires antisémites de l’époque. Il l’a écrit deux ans après « voyage au bout de la nuit ». Il n’a rien de politique, hormis son rejet sous-jacent de la guerre et ses atrocités.

Bonne lecture !

Jean Notary

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