NDLR Il ne s'agit pas là de rédiger la biographie fort riche de Charles de Gaulle, accessible sur le site http://www.charles-de-gaulle.org , mais seulement d'évoquer les points qui me paraissent essentiels pour expliquer l'inspiration dont il a fait preuve pour exprimer sa pensée, verbalement ou par écrit. Son esprit brillant, sa parfaite maîtrise de la langue, sa culture, sa qualité de "faiseur de l'Histoire" et non pas de simple spectateur, justifient qu'on le cite. Tout le monde sait cela mais peu de gens savent en revanche qu'il avait un humour subtil, y compris sur lui-même, témoignage d'une sensibilité touchante.
Charles de Gaulle est né dans une famille catholique, et reçoit une éducation conforme à son milieu, notamment chez les Jésuites, dont on connaît l'exigence. Il s'oriente vers la carrière militaire, est reçu à Saint Cyr, en milieu de classement, et va grimper dans la hiérarchie militaire, notamment sous les ordres d'un certain colonel Pétain. Lieutenant, il aborde la première guerre mondiale au cours de laquelle il sera blessé trois fois, laissé pour mort à Verdun en 1916, fait prisonnier, et finira la guerre en Allemagne tout en tentant cinq fois de s'évader pour être toujours repris.
Mais c'est la seconde guerre mondiale qui va révéler sa véritable valeur. Militaire anticonformiste, il expose ses vues sur la guerre moderne notamment au Conseil Supérieur de la Défense Nationale qu'il a intégré, pensant que l'armée doit être suffisamment mobile et s'adapter aux circonstances, au lieu d'être figée dans des doctrines intangibles. S'il n'est pas suivi par le haut état major, sa vision prospective sera parfaitement assimilée par les Allemands qui la mettront à profit notamment en concentrant la force mécanique et l'aviation lors de la campagne de France sous la houlette du général Guderian. L'issue de la bataille ne faisant plus guerre de doute, Paul Reynaud, Président du Conseil, le nommera le 5 juin 1940 "sous-secrétaire d'état à la guerre", après sa promotion en tant que général de brigade, chargé notamment de convaincre Churchill d'affecter davantage de moyens pour renverser le cours des évènements ayant conduit à une situation catastrophique. Peine perdue, le général de Gaulle se retrouvera à Londres, l'Armistice signée, le gouvernement auquel il appartenait dissous. Il montrera alors un exceptionnel sens politique en prononçant dans les locaux de la BBC son célèbre appel à la résistance, le 18 juin. Les mots choisis, d'une implacable lucidité, son analyse objective forceront le respect. Visionnaire, il annoncera la victoire finale en expliquant pourquoi et comment elle interviendra. Fort de ses certitudes, et ayant toujours admis la primauté du politique sur le militaire, c'est tout naturellement qu'il se fondra dans le rôle incroyablement audacieux dans ces circonstances d'homme providentiel, sans aucune légitimité démocratique, avec la prétention inouïe "d'incarner" la France, s'imposant non sans mal auprès des Alliés (grâce à l'appui déterminant de Churchill et malgré le handicap d'une hostilité jamais démentie de Roosevelt) comme le seul représentant d'une France pour l'heure à genoux.
Charles de Gaulle va donc, durant quatre années, "incarner" la France libre et résistante, supplanter son rival, le général Giraud, évadé d'Allemagne, (candidat favori des Américains en raison de son absence totale de sens politique, qui aurait fait une parfaite marionnette aux yeux de Roosevelt). Avec très peu de moyens, simplement par sa volonté farouche, sa vision claire du futur, il va permettre à un pays vaincu, pillé, destructuré, déconsidéré par la honte de la collaboration, de s'imposer dans le camp des vainqueurs de la seconde guerre mondiale, au point de faire de la France un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies, doté d'un droit de veto.
On aurait pu penser que le Grand Homme aurait bénéficié d'un plébiscite en sa faveur, et qu'il serait devenu juste après la guerre, chef de l'État. Mais les Français sont versatiles, et se méfient des personnages au charisme implacable dont ils sont débiteurs. Et comme de Gaulle n'était pas homme à exiger cette reconnaissance, c'est drapé dans sa dignité de héros national qu'il s'éloigna du pouvoir au grand soulagement d'une classe politique dont il exigeait trop de vertu.
La crise de la décolonisation, et particulièrement la guerre d'Algérie et son cortège de déchirures, allait achever une quatrième république à bout de souffle, au point de rappeler l'homme "providentiel". Ainsi, l'auteur de "l'appel du 18 juin", qui aurait pu rester à 67 ans un paisible retraité, va devenir le premier président de la cinquième République, qu'il aura forgée à son image. Dix ans plus tard, en mai 1968, une révolution étudiante le poussera à partir. Dépassé par une société en plein mouvement, il comprendra qu'il faut tourner la page et ne voudra en aucun cas devenir illégitime aux yeux des français.
Charles de Gaulle, obsédé par la grandeur de la France, son indépendance, son honneur, fin politique, révélé par des circonstances exceptionnelles, dont l'ombre plane toujours sur la vie politique française, effrayante pour beaucoup par son haut niveau d'exigence morale - qui semble aujourd'hui inatteignable au commun des politiciens -, fut aussi un homme d'esprit et un écrivain de talent.
Les citations signées "de Gaulle"
"Eh bien dites-nous maintenant comment vous vous êtes fait prendre !"
agacé, s'adressant au général Giraud, à Alger,
qui racontait partout comment il s'était évadé d'Allemagne.
Giraud, Roosevelt, De Gaulle et Churchill, au Maroc
"La France ne peut pas être la France, sans la grandeur"
Mémoires de guerre, I. L'appel. La Pente
"Dans le jardin à la française, aucun arbre ne cherche à étouffer les autres de son ombre, les parterres s'accommodent d'être géométriquement dessinés, le bassin n'ambitionne pas de cascade, les statues ne prétendent pas s'imposer seules à l'admiration. Une noble mélancolie s'en dégage parfois. Peut-être vient-elle du sentiment que chaque élément, isolé, eût pu briller davantage. Mais c'eût été au dommage de l'ensemble, et le promeneur se félicite de la règle qui imprime au jardin sa magnifique harmonie.
La discorde chez l'ennemi
"Qu'on empêche de naître, qu'on stérilise les esprits, qu'on glace les âmes, qu'on endorme les besoins, alors, sans doute, la force disparaîtra d'un monde immobile. Sinon, rien ne fera qu'elle demeure indispensable. Recours de la pensée, instrument de l'action, condition du mouvement, il faut cette accoucheuse pour tirer au jour le progrès. Pavois des maîtres, rempart des trônes, bélier des révolutions, on lui doit tour à tour l'ordre et la liberté. Berceau des cités, sceptre des empires, la force fait la loi aux peuples et leur règle leur destin.
Le fil de l'épée. Avant propos.
"Le caractère, vertu des temps difficiles".
Id. Du caractère
"L'esprit militaire, l'art des soldats, leurs vertus sont une partie intégrante du capital des humains (...) Car enfin pourrait-on comprendre la Grèce sans Salamine, Rome sans les légions, la Chrétienté sans l'épée, l'Islam sans le cimeterre, la Révolution sans Valmy...
Ibid.
"On ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l'avoir voulu".
Id. La politique et le soldat
"La gloire se donne seulement à ceux qui l'ont toujours rêvée".
Vers l'armée de métier. Comment? Commandement, II
"L'épée est l'axe du monde et la grandeur ne se divise pas".
Ibid. III
"La France fut faite à coups d'épée. La fleur de lys, symbole d'unité nationale, n'est que l'image d'un javelot à trois lances".
La France et son armée. Origines, I
"Le désir du privilège et le goût de l'égalité, passions dominantes et contradictoires des Français de toute époque".
Ibid.
"Mais les armes ont cette vertu d'ennoblir jusqu'aux moins purs".
Ibid.
"Trêve de doutes ! Penché sur le gouffre où la patrie a roulé, je suis son fils, qui l'appelle, lui tient la lumière, lui montre la voie du salut. Beaucoup, déjà, m'ont rejoint. D'autres viendront, j'en suis sûr ! Maintenant j'entends la France me répondre. Au fond de l'abîme, elle se relève, elle marche, elle gravit la pente. Ah ! mère, tels que nous sommes, nous voici pour vous servir".
Ibid., La France combattante
"Nous rapportons à la France l'indépendance, l'Empire et l'épée".
Ibid., Diplomatie.
"Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n'empêchent pas qu'il y a dans l'univers tous les moyens nécessaires pour écraser un jour tous nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là."
Premier appel (18 juin 1940) radiodiffusé par la BBC
"Oui, nous avons subi une grande défaite. Un système militaire mauvais, les fautes commises dans la conduite des opérations, l'esprit d'abandon du gouvernement pendant ces derniers combats nous ont fait perdre la bataille de France. Mais il nous reste un vaste empire, une flotte intacte, beaucoup d'or. Il nous reste des Alliés dont les ressources sont immenses et qui dominent les mers. Il nous reste les gigantesques possibilités de l'industrie américaine. Les mêmes conditions de la guerre qui nous ont fait battre par 5000 avions, et 6000 chars peuvent donner demain la victoire par 20 000 chars et 20 000 avions."
Allocution radiodiffusée à la BBC le 22 juin 1940.
"Puisque ceux qui avaient le devoir de manier l'épée de la France l'ont laissé tomber brisée, moi, j'ai ramassé le tronçon du glaive".
Allocution radiodiffusée à la BBC le 13 juillet 1940.
"Le vieux peuple que nous sommes a assez vécu pour savoir qu'il est un champion dont les hommes libres ne se passent pas (...) Il y a un pacte trente fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde".
Discours du 1er mars 1941 à l'Association
des Français de Grande-Bretagne
"À la base de notre civilisation, il y a la liberté de chacun dans sa pensée, ses croyances, ses opinions, son travail, ses loisirs".
Discours au club français d'Oxford, le 25 novembre 1941
"La France sait que pour unir toutes les terres qui lui appartiennent et tous les États qu'elle protège, il n'existe comme liens que les justes lois de la légitime République".
Discours de Brazzaville du 21 novembre 1941
"Intégrée à la vieille Europe, qui retrouvera après tant d'épreuves son équilibre et son rayonnement, mais étendue sur le monde entier par ses territoires et par son influence humaine, la France de demain sera au premier rang des nations qui sont grandes et qui se doivent d'autant plus au droit et à la liberté de tous".
Discours d'Alger du 14 juillet 1943
"...En vérité l'unité, la cohésion, la discipline intérieure du Gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l'autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres du Gouvernement lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n'était à son poste, que le mandataire d'un parti?"
Conférence de presse du 16 juin 1946
"Nous accueillons avec un mépris de fer les dérisoires imputations d'ambitions dictatoriales que certains, aujourd'hui, prodiguent à notre égard et qui sont exactement les mêmes que celles dont, depuis le 18 juin 1940, nous fûmes comblés, sans en être accablés, par l'ennemi et ses complices, par la tourbe des intrigants mal satisfaits, enfin par certains étrangers qui visaient à travers notre personne, l'indépendance de la France et l'intégrité de ses droits".
Discours d'Épinal du 22 septembre 1946
"Il m'a semblé et il me semble qu'il est avant tout nécessaire de refaire la vieille Europe, de la refaire solidaire, notamment quant à sa reconstruction et à sa renaissance économique dont tout le reste dépend, de la refaire avec tous ceux qui, d'une part, voudront et pourront s'y prêter et, d'autre part, demeurent fidèles à cette conception du droit des gens et des individus d'où est sortie et sur laquelle repose notre civilisation".
Allocution du 9 juillet 1947 devant l'Association
de la Presse anglo-américaine de Paris.
"Personne n'est plus convaincu que moi que la France est multiple. Elle l'a toujours été et le sera toujours. Il y a en France beaucoup de familles spirituelles. Cela a toujours été ainsi. C'est là notre génie".
Conférence de Presse du 12 novembre 1947
De Gaulle et son épouse, Yvonne
surnommée affectueusement "tante Yvonne" par les Français.